Avons-nous droit à la prospérité? – Michel Desjardins

Il y environ 18 mois, un ami du milieu des affaires m’a demandé de coprésider une conférence provinciale sur le développement des gaz de schiste au Nouveau-Brunswick. Cette conférence avait pour but de favoriser le dialogue et chercher des terrains d’entente. Au cours des discussions qui ont mené à mon refus de jouer ce rôle, mon ami m’a dit quelque chose qui m’est resté à l’esprit. Se référant à nos compatriotes du reste du Canada, il m’a dit : «…nous aussi, au Nouveau-Brunswick, on a droit à la prospérité ».

Du coup, cette phrase m’a paru intéressante. Avons-nous vraiment droit à la prospérité?

La prospérité, telle que nous la concevons aujourd’hui, est principalement le produit de 150 ans de croissance économique sans précédent dans l’histoire de l’humanité. On peut dire sans trop se tromper qu’elle a commencé vers 1859 avec l’exploitation du premier champ pétrolifère commercial dans l’état de la Pennsylvanie, aux États-Unis. Grâce au pétrole et aux autres formes d’énergies fossiles – des produits dotés de propriétés exceptionnelles –, nous avons transformé la planète à un rythme effréné. Nous sommes sortis des champs et sommes rentrés en ville, pour ainsi dire. Nous avons érigé de majestueux édifices, des hôpitaux et des écoles. Nous avons construit des systèmes routiers et des modes de transport hautement performants. Et que dire de notre système alimentaire industrialisé qui nous permet aujourd’hui de manger des fraises en janvier et boire du sauvignon blanc bien frais de la Nouvelle-Zélande en été. Sans parler de notre niveau d’instruction qui n’a jamais été aussi élevé et notre espérance de vie qui n’a jamais été si longue. Bref, voilà l’idée qu’on se fait de la prospérité aujourd’hui, du moins au Nouveau-Brunswick.

Sans en être parfaitement conscients ou sans toujours l’exprimer de façon claire, nous vivons cette prospérité au quotidien en supposant qu’elle nous est due, que nous y avons droit.

Auteur : Ruhrfisch

Auteur : Ruhrfisch

Or, ce qui passe trop souvent sous silence c’est que cette croissance économique et cette prospérité sont empruntées, c’est-à-dire qu’elles sont fondées sur une dette écologique. Nous écartons de nos analyses et de notre discours le fait que nous épuisons chaque année plus de ressources naturelles que peut produire la Terre. Nous admettons difficilement que globalement nous vivons déjà bien au-delà des moyens que la planète a mis à notre disposition.

Ironiquement, l’exemple le plus frappant de l’épuisement des ressources naturelles concerne le pétrole, celui-là même qui est à l’origine de cette soi-disant prospérité. Et, qu’on ne se leurre pas, le pétrole est bel et bien en phase de déclin. Sinon, pourquoi s’acharnerait-on sur le gaz de schiste, une ressource beaucoup plus chère à exploiter et beaucoup moins performante et polyvalente? Le gaz de schiste n’est, en fin de compte, que le fond du baril des énergies fossiles.

Par ailleurs, nous savons que toute cette croissance économique et cette prospérité donnent lieu à une forme d’appauvrissement. Pensons à l’instabilité climatique, la pollution atmosphérique et la dégradation de la biodiversité, des phénomènes qui mettent en péril l’humanité tout entière. En cherchant à stimuler l’économie et la prospérité par un apport toujours croissant d’énergies fossiles, nous faisons durer une approche au développement qui mène tout droit à la catastrophe planétaire.

Selon moi, au Nouveau-Brunswick, c’est dans ce cadre de réflexion et ce contexte que devrait s’inscrire le débat sur l’exploitation des gaz de schiste.

Les partisans de l’exploitation du gaz de schiste nous disent que cette activité économique est essentielle si nous voulons maintenir nos programmes sociaux et notre niveau de vie. Cela équivaut à dire que pour maintenir notre « prospérité » (à laquelle nous avons droit, semble-t-il), nous n’avons d’autre choix que d’exploiter les gaz de schiste, une ressource naturelle non renouvelable. On nous dit que le jeu en vaut la chandelle, même s’il contribue à l’instabilité climatique, à la dégradation des écosystèmes et, ultimement, à mettre en péril la vie humaine sur la planète.

Mais à quoi bon des programmes sociaux si tout cela mène à un suicide collectif?  Quel pacte social intergénérationnel nous confère le droit de puiser dans le capital naturel et d’emprunter sur le mieux-être des générations futures?  Pourquoi serions-nous les grands érudits de l’histoire?

J’ai toujours aimé le principe iroquois, empreint selon moi d’une grande sagesse, qui veut que l’on tienne compte des sept générations à venir au moment de prendre des décisions importantes. Vu sous cet angle, le projet d’exploitation des gaz de schiste ne tient tout simplement pas la route.

Pour tout dire, la seule vraie solution aux problèmes auxquels nous sommes confrontés ne serait-elle pas de changer notre conception de la prospérité? Pourrions-nous imaginer un avenir prospère sans croissance économique? Une prospérité fondée sur la résilience communautaire, la production et la consommation locales et sur les valeurs de la frugalité et de l’entraide. Au lieu de toujours en demander plus, ne pourrions-nous pas nous satisfaire de moins? Sachant que les ressources de la Terre ne sont pas inépuisables et que la croissance perpétuelle est physiquement impossible, ne sommes-nous pas destinés, tôt ou tard, à adopter cette conception de la prospérité?

À propos…

michel desjardinsDepuis plus de 12 ans, Michel Desjardins se consacre sans relâche à des causes environnementales dans la région de Moncton. Il a notamment joué un rôle de premier plan dans la bataille pour la restauration de la rivière Petitcodiac. Il est aussi l’instigateur de plusieurs projets et organismes locaux, dont Grand Moncton Post Carbone. Comme consultant, Michel Desjardins se spécialise en recherche communautaire, en développement organisationnel et en rédaction.

19 réponses à “Avons-nous droit à la prospérité? – Michel Desjardins

  1. Il ne faut pas cracher sur le développement économique. Par contre, est-ce que les gaz de schistes débouchent vraiment sur la prospérité pour le NB? Pas convaincu. L’économie de demain sera une économie du savoir alors lâchons un ti-peu la Place Champlain et passons à la bibliothèque.

  2. Il est temps que l on définisse nos valeurs, le progrès je suis d accord mais pas avec les produits souterrains. Il y a plusieurs façon de devenir une société plus juste et moins basée sur l argent.

  3. Michel j’aimerais bien rentrer en contact avec toi, tu peux m’envoier un courielle avec ton info.

    Merci

  4. Pourquoi il faut suivre l’exemple destructif des autres afin de « prospérer »? Je peux comprendre le commentaire mais pourqoi ne pas être un leader au lieu de suivre ce modèle? Pensez-y: le NB un leader en énergie renouvelable, c’est pas beau ça? Dans le fond, on veut quoi; un Alberta détruit, pollué mais avec plein de cash ou un NB qui charme par sa beauté, par ses forêts, ses eaux et sa qualité de vie? Je vie à Montreal depuis maintenant presque 4 ans et je pense à mon chez-moi presque tous les jours. J’aimerais y retourner un jours pour y retrouver le calme, Non, peut-être qu’on est pas riche mais pis! J’y retournerais pour le calme, la sérénité, la nature. Voilà le NB que j’aime.

  5. Excellent texte qui porte à une réflexion profonde sur notre façon de développer notre économie et comment si on ne trouve pas l’équilibre entre développement et durabilité, nous sommes sur la voie de la destruction! Bravo Michel!

  6. Merci pour ce texte! Je suis tout à fait en accord avec toi Michel, je partage cette philosophie de la simplicité volontaire (ce qui n’était pas le cas lorsque j’avais 20 ans! J’en ai présentement 10 de plus!) et ne crois pas que le progrès passe nécessairement par la croissance économique. Du moins, pas celle que propose les dirigeants (l’élite que l’on pourrait justement nommé « Les Rois du pétrole ») en place en ce moment… Cela ne veut pas dire que la société s’immobilisera et que l’innovation disparaîtra, elle se fera simplement par d’autres biais, elle prendra d’autres formes.

    Enfin, si on va au fond de la question, on se rend bien compte que le débat autours de la question du « progrès » ou de la « croissance » par laquelle découlerait la prospérité est stérile et inutile. Il est bien évident aujourd’hui que l’accumulation de richesse matériel ne mène pas nécessairement au bonheur, un minimum est requis évidemment, mais nous savons tous que le citoyen canadien moyen est bien au-dessus de ce minimum. Qu’est-ce que cela a comme conséquences? Et bien, tout bêtement, si on en prend plus que sa part, quelqu’un, quelque part, en a moins… Et comme notre ami Yan le soulève très justement, nous ne sommes qu’une seule communauté terrestre ultimement et c’est à mon avis dans cette optique qu’il faut concevoir les notions de justice et d’équité.

    Nous serons d’ici 2050 près de 9 milliards d’êtres humains sur la terre, il est facile de voir pourquoi le modèle Nord-américain ne peut être étendue à l’ensemble de la planète. Il nous suffit de prendre l’exemple de la Chine!

    Bref, il me semble qu’on aurait gravement besoin d’un changement paradigmatique profonds! Je n’ai rien à proposer qui pourrait tiendre la route compte tenue de la diversité des mentalités individuelles existantes à notre ère. Mais, peut-être cela passera-t-il par la prise de conscience de ce que nous sommes réellement et fondamentalement, de notre unicité universelle comme le dit bien Jean-Marie!

  7. « que la croissance perpétuelle est physiquement impossible »

    c’est une pensée que j’ai déjà eu, et avec la quelle je ne peut être qu’en accord.

    le texte est très bien écrit, manque peut-être de détailles sur comment l’exploitations des gaz schistes est un danger, pour le lectorat moins informé, mais vous tirez des conclusions, des conclusions informées. surtout le texte est bien écrit. merci.

  8. Merci pour le texte.
    Je crois qu’on peut certainement se contenter de moins sur le plan matériel, mais surtout, qu’il faut exiger plus d’innovation, d’efforts et de volonté pour appuyer des solutions qui sortent des sentiers battus…
    Ça fait quand même longtemps qu’on nous présente une surutilisation des ressources naturelles comme le seul et unique moyen de prospérer.
    La vraie transparence, ça serait d’avouer que l’appât du gain fait rapidement oublier toute volonté à sortir des sentiers battus quand vient le temps d’élaborer des plans d’avenir et d’essor économique…

  9. Monsieur Desjardins, je lis votre texte, et je souhaite savoir : craignez-vous le changement, la croissance, le progrès ?

    Je crois que beaucoup de jeunes, dont moi, ne seraient pas en accord avec votre vision des choses. Nous, qui sommes dans la vingtaine ou tout juste avant, ne saurions imaginer un monde statique. Nous voulons apporter notre contribution. Vivre simplement pour vivre, ça ne signifie rien pour nous.

    Cette vision de la communauté et de la prospérité, que je constate avec désarroi à la lecture de votre texte, s’estompe peu à peu chez les nouvelles générations. Et bien heureusement. Notre Monde n’est pas un ensemble de communautés destinées à coexister. Notre Monde, c’est une seule et unique communauté. Que l’on soit européen, africain, australien, asiatique ou canadien, il ne faut pas oublier que l’on vit tous sur le même sphéroïde rocheux et que c’est en faisant tomber les barrières que nous atteindrons la vraie prospérité.

    Nous serons par la suite vraiment outillés, en tant que communauté mondiale, pour progresser et pour se développer. Vous, qui que vous soyez, et qui me lisez actuellement, soyez-en avisé : si le changement vous effraie, ne tentez pas de l’arrêter. Nous évoluerons, et nous vivrons. Le Soleil brille. E = mc². Nous sommes outillés, alors sachons en profiter.

    • Avant d’être tout le monde réellement, il faut être quelqu’un, offrir à l’autre ce que l’on a d’universel, d’unique, une unicité universelle!

    • Merci Yann. C’est beau de voir un jeune dans la vingtaine s’exprimer avec conviction et clarté. La triste réalité, selon moi, c’est que la « contribution » de votre génération sera de payer pour les excès de la mienne et celle de mes parents. À votre place, je serais révolté.

    • je suis d’accord (j’ai également 20 ans), que nous voulons découvrir le monde et y contribuer. mais laisse moi te poser la question: quelle contributions est-ce que c’est que de participer à une industrie lourde qui est prédestinée à ne pas durer longtemps? quelle contribution est-ce que c’est que de détruire ce qu’on a déjà pour quel que chose qui est prédestiné à ne pas durer? quelle contribution est-ce que c’est que d’avoir de l’eau non-potable qui, d’après les recherches faites avec le « fracking fluid » aux É-U, sera rempli de plus de 500 produits chimiques, des produits chimiques qui iront dans les sols, qui iront dans les plantes, donc nôtre nourriture, qui ira dans l’atmosphère et donc ,ce qu’on respire.

      je suis absolument d’accord que nous voulons être actif, contribuer, et que si la communauté n’est pas active, on va s’emmerder. mais est-ce que de créer des dommages qu’on sera incapable, pas pour ce qui sera sans doutes des centaines d’années, réparer, pour éviter de stagner un petit moment?

      tu as droit à ta propre conclusion, mais moi je suis du bord à M. Desjardins.

    • Tu parle entravers ton chapeaux mon homme a quel prix tu veut du changement du progrès puis de la croissance , vas juste voir en Alberta quesqu’ils sont entrain de faire avec cette province là , ils là détruisent .
      Ça juste pas de non sens de fort Mac a syncrude on se croirait sur la lune ils ont toute détruit l’environnement , ils coupent le bois le place on grosses pille puis le brûlent .Puis après ils creusent , la seule chose que tu voit c’est du gravier pi de la roche et de la terre pi elle est pas brune la terre elle est grise , pi la pollution j’en passent ça juste pas de bon sens, on vit dans un monde de corruption .
      Pi toi tu serait prêt a sacrifier l’eau souterraine puis l’environnement ou il vont extraire le gas de schiste a quel prit , c’est juste irréfléchi toute ça , juste pour de $$$$$$$$ en fin de compte.
      Du changement du progrès de la croissance vas làbas puis tu mon parlera après .

    • Associer constamment le progrès et la croissance avec la destruction de la planète ne nous permettra jamais d’atteindre nos objectifs.

      Nous sommes pour la plupart d’accord que tout gouvernement qui choisit d’exploiter les gaz de schiste ou même toute énergie fossile uniquement par souci monétaire sans se préoccuper des conséquences à long terme est plutôt pitoyable, aux temps actuels.

      Il est tout à fait possible pour notre civilisation de progresser tout en se détachant des modèles actuels et en trouvant des solutions innovatrices. Remarquez que j’y avais fait référence plus tôt par « le Soleil brille » ainsi que « E = mc² ».

      La contribution de notre génération ? Découvrir et trouver de nouvelles solutions favorables au progrès dans le contexte social, économique et écologique actuel, en utilisant notre jeunesse ainsi que notre propre esprit qui, espérons-le, est encore ouvert.

      • Je sais que je sort du sujet mais fallait que j’en parle . Il faut pas oublier que celui qui a inventé la formule E=mc2 en 1905 a contribué à la destuction de Hiroshima pendant la guerre , peut -on appeler cela de la contribution ou de l’ avancement .

      • que de beau mots qui vont un peu à l’encontre de ton commentaire plus tôt qui semblait favorable à l’exploitation de gaz schistes. il est facile d’associer exploitation et destruction parce qu’à date c’est à peu près tout ce qui s’est fait. la croissance peut venir, regarde le biodiésel, l’éthanol, l’huile de phytoplancton concentré (non-fossile), ainsi que bien d’autre choses. par contre ça ne servirait à rien de tout démolir en attendent que ça vienne. je défend qui si on veut progresser dans ces secteurs, il faut attendre de pouvoir le faire sans se larguer dans l’exploitation de tout et de n’importe quoi, plutôt que d’en payer les conséquences; comme j’ai déjà dit, les nappes phréatiques, on ne saura pas, et nous ne pourrons pas les nettoyer.

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